Prenons d’abord cette définition donnée par Wikipedia du complexe d’Oedipe :
« Le concept de complexe d’Œdipe a été avancé par Sigmund Freud, fondateur de la psychanalyse, pour désigner une attirance sexuelle inconsciente des garçons envers leur mère, ainsi que la jalousie à l’égard de leur père »
Et changeons quelques termes pour l’adapter à l’environnement de la plongée scaphandre :
« Le concept de complexe d’Œdipe du moniteur a été avancé par Nutria Cystitis, fondatrice de la Sub-psychanalyse, pour désigner une attirance sexuelle consciente des garçons envers leur monitrice, ainsi qu’une perte complète de leur capacité de retenue «
Il y a des rencontres qui marquent… Et qui expliquent de manière tout à fait scientifique la théorie exposée plus haut.
Mario (son nom est changé pour préserver son anonymat), est un italien d’une trentaine d’années. Yeux bleux profonds, physique à la fois énergique et légèrement bedonnant de celui qui aime profiter de la vie, une bouille d’enfant, et une irrésistible envie d’apprendre à plonger.
Son premier contact avec avec mon collègue instructeur égyptien, qui parle un italien parfait. Mais Ahmed est malade et ne peut enseigner, il a une infection à l’oreille externe et doit rester hors de l’eau une semaine minimum.
Mario est pressé, il a deux semaines de vacances, est venu avec des amis plongeurs et veut passer son niveau un pour les rejoindre au plus vite. Ahmed lui propose une alternative, il peut faire le niveau 1 avec moi, qui comprend très correctement l’italien mais serai plus à l’aise pour l’enseigner en anglais. Il devra donc gérer la partie théorique avec mon collègue, et la partie pratique en piscine et en mer avec moi. Mario est enthousiaste, il accepte sans même m’avoir rencontrée.
On est en plein pic de saison, je jongle indéfiniment depuis trois semaines entre de multiples personnes aux voeux aussi variés que leurs profils : baptême, cours de spécialité, niveau 1, 2… Mes journées ressemblent à un marathon, j’ai oublié le concept de « pause déjeuner », je ne sais même plus comment on prépare une salade la veille soir, je m’endors régulièrement complètement habillée, d’épuisement, aux alentours de 20h… Et Mario débarque, sa bouille de gamin enchanté, en plein milieu d’un planning où je tente déjà vainement de combiner des cours en français et en anglais…
C’est un cou-près. Il a beau me sortir son plus beau sourire et lancer une adorable accroche typique du séducteur italien, j’ai juste envie de fuir en courant. Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi cette foutue bactérie dans l’oreille de mon collègue.
Mario va donc joindre mon cours de niveau 1, avec mes deux polonais, mère et fils, dont seul le fils comprend l’anglais et traduit instantanément à sa mère, et mon belge qui ne parle pas un mot d’anglais. Une tour de Babel sous marine…
Les réglages du débuts sont un peu complexes, chacun fait son cours de façon un peu isolée, barrière de la langue oblige. Mais très vite mes bêtises habituelles sous l’eau détendent tout le monde et la cohésion de groupe pointe le bout de son nez.
Mario est un très bon plongeur. Sa motivation balaye du revers toutes les difficultés qui auraient pu être préssenties à cause de la barrière de la langue. Il écoute mes briefings en anglais avec un sourcillement caractéristique de la personne qui ne comprend que 25% ou moins des informations. Il écoute mes briefings en français et ne peut s’empêcher de me sortir en italien à chaque fois ou presque que (sic) :
Il francese è una lingua così romantico…
Comprenez, si je pouvais vous inviter à diner ce serait avec plaisir…
Nous finissons sans encombres le niveau 1, Mario est très assidu, au point de toujours venir une demie heure en avance pour chaque rendez-vous, se prend de passion pour des debriefings interminables post plongée. Nous feuilletons ensemble le guide de la faune de récif en italien à chaque fois ou presque et ma connaissance du vocabulaire faunistique s’améliore malgré moi.
Ahmed est guéri, et Mario veut continuer sa formation en attaquant directement le niveau 2. Je tente une opération diplomatique de grande envergure, poussant mon élève adorable mais trop adorant, dans les bras de mon collègue égyptien.
Rien n’y fait. Mario veut continuer avec moi. Mes collègues se jouent de la situation et alimentent son fantasme de la monitrice cool et désirable en lui racontant tout un tas de détails de ma vie privée. Je suis piégée. C’est le jeu ma bonne Lucette. Le client est roi.
Je décide de transformer l’essai. Après tout mon niveau en italien n’est pas si mauvais que ça. Je vais prendre en charge l’intégralité du cours cette fois ci. Revue des connaissances théoriques incluse, dans la langue de Dante.
Nous passons encore ensemble trois jours à plonger, en duo cette fois. L’instant le plus mémorable, s’il n’en est qu’un tant le personnage est délicieusement caricatural, sera notre plongée « naturaliste ».
Je prépare consciencieusement une planche d’observation de la faune pour Mario, avec différentes familles de poissons, symbiose, stations de nettoyage et autres singularités du monde sous marin à observer. Après un briefing mi italien – mi anglais, Mario, studieux, embarque sa planche sous l’eau et observe durant près de 70 minutes un récif gorgé de poissons et coraux. Je le vois noter régulièrement des informations sur sa planche, ravie qu’il prenne son travail au sérieux, malgré les multiples tentatives de diversion lors de nos séances lecture du guide de la faune en Mer Rouge…
Nous sortons de l’eau, rangeons l’équipement et prenons le temps de nous assoir pour opérer un débrifing des plus sérieux qu’il soit. Mario oublie sciemment, mais je ne le sais pas encore à ce moment, sa planche qu’il a rangé directement dans ma caisse. Je lui demande d’aller me la chercher, il pique alors un fard, et me la ramène un sourire aux lèvres. Par dessus mon tableau scientifique, il a dessiné un croquis de ma silhouette sous l’eau, et m’a écrit en dessous, sous titré de son numéro de téléphone :
« chiamami quando si arriva in Europa »
Une tentative ou deux supplémentaire d’invitation à un dîner nous poussera à parler de choses plus privées, il comprendra que je ne suis pas libre, tout du moins pour une relation de ce genre et finira par me serrer fort dans ses bras le jour de son départ en me demandant de le tenir informé de mes pérégrinations professionnelles…
Mario est un exemple parmi d’autre de ces personnes qui le temps de vacances loin de leur quotidien, parfois probablement ennuyeux à mourir, se prennent à rêver tels des adolescents d’une romance avec la monitrice, ou le moniteur, mythe tronqué d’une mode de vie parfait…
Qui travaille dans le monde du tourisme sait à quel point cette image d’Epinal n’est qu’une invention du cerveau humain, tant la vie intense et épuisante de saisonnier laisse parfois peu de place au romantisme et à la rêverie, et rend la vie quotidienne dans les lieux les plus exotiques banale à en mourir.
Ne pas détruire intégralement un mythe, laisser les gens s’évader, tout en gardant une distance saine dans les relations, tel est le leitmotiv quotidien du professionnel du tourisme, si tant est qu’il n’abuse pas du système…